Vanyamorë avait passé sa journée à courir, inlassablement. Courir et fuir. Et elle avait la désagréable impression qu'elle y passait ses semaines entières. Fuir son passé, fuir ses ennemis, fuir ce dénommé Kiyoshi qui la hantait … Agacée par ses propres pensées, elle redoubla d'efforts, sauta par dessus une barrière, et continua à courir, les cris de ses poursuivants résonnants derrière elle. Il est vrai qu'elle aurait pu éviter de provoquer le chef d'une petite bande de malfrats qui sévissait dans le quartier, mais il était si amusant de tourmenter les imbéciles. Les tuer aurait été relativement simple, c'est vrai, mais elle tenait à pouvoir rester quelque temps encore dans cette ville.
La démone prit un brusque tournant au coin d'une ruelle et s'affaira à semer ses assaillants, chose facile, ils ne possédaient ni son agilité ni sa rapidité. Les cris derrière elle s'estompèrent peu à peu alors qu'elle ralentissait précautionneusement. Aux aguets, dissimulée dans l'ombre d'un cul de sac, elle s'assura que les autres avaient abandonné la poursuite avant de s'autoriser à respirer. Reprenant doucement une respiration régulière, elle s'adossa au mur de briques derrière elle. Et, immanquablement, comme à chaque fois que son esprit dérivait, elle repensa à cette nuit, plus d'un mois auparavant.
Elle se trouvait pathétique, totalement stupide, à ressasser ainsi les souvenirs d'une nuit d'intense plaisir. Rien qu'une nuit, un court moment dans sa vie d'immortelle, qui lui avait fait regretter plus que jamais sa condition. Une créature des enfers et un humain. Quoi de plus incongru ? Elle aurait dû le tuer sans aucun remord, sans aucun scrupule, à la place de quoi, elle l'avait désiré comme aucun autre avant, et elle le désirait toujours. Comme un poison, tenace, qui s'était infiltré dans ses veines, et dont elle cherchait encore l'antidote. En attendant, la jeune femme en était réduite à revoir en rêve chaque nuit son visage souriant et l'éclat hypnotisant de ses yeux verts. Ça la tuait, ce feu qui lui rongeait les reins et qui clamait ce qu'elle ne voulait admettre. Elle avait besoin de bien plus qu'un simple contact corporel ou d'une brève étreinte. Tous ses instincts refoulés de succube semblaient avoir refait surface dans la nuit de leur rencontre. Fait étrange, soit dit en passant.
Elle aurait pu décharger sa colère et sa frustration sur un autre homme, sans aucun doute, mais ca n'aurait pas eu la même saveur. Ça n'aurait pas eu ce petit goût d'interdit mêlé à cette passion enivrante. Elle ne désirait clairement pas voir ailleurs. Elle le voulait lui, comme si son corps lui même réclamait celui de l'autre. Elle était perdue. Sans l'ombre d'un doute.
Poussant un long soupir, elle se laissa glisser le long du mur, les bras croisés sur sa poitrine, il faisait froid. Pas dehors, non, la température ambiante ne l'affectant pas outre mesure, mais en elle, il faisait horriblement froid. Et celui qui pourrait la réchauffer n'était pas là ...